Ny fon’ny poety – Le poête des univers – ZAKARANDAHY


par

RAJAOBELISON SAMUEL ou ZAKARANDAHY, ‘‘LE POÊTE DES UNIVERS’’.

Samuel RAJAOBELISON

Pourquoi Poète des univers ?

Régis Rajemisa-Raolison, vice-président de l’Académie Nationale Malgache et président de l’UPEM en son temps, dans sa préface à toutes les œuvres de Zakarandahy a écrit : ‘‘un travail énorme, un travail grandiose’’. L’idée a été reprise par des chercheurs qui ont préparé la célébration du centenaire de l’écrivain-poète, à Madagascar, du 25 septembre au 9 octobre 2015, et distingué l’auteur comme le ‘‘poète des univers’’. Dans la deuxième strophe de son poème ‘‘Ny fon’ny poèty’’  Dada Rajaobelison Samuel s’est lui-même présenté ainsi :

Le cœur du poète est un espace ouvert                               Ny fon’ny poety dia kianja mampiray

Aux gens qui le sillonnent en quête d’impossible                  Ikarenjen’ny olona sy anaovany antsojay

Les poèmes qu’il crée, romances de son âme,                      Ny tonkira ataony izay vetson’ny fanahy

Sont un firmament commun que nul ne s’approprie               Dia lanitra ikambanana tsy misy azy sy ahy

Tandis qu’aucune demeure ne contiendra son corps             Ny tenabeny kosa mazana tsy omby trano

Car il est à la fois esprit et fils des Vagues.                           Fa lolon-javatra izy sy zanakalondrano.

A travers ces lignes il nous dévoile son univers (kianja) intérieur représenté par son cœur (fony), son âme (fanahy) et son corps (tenabeny). Il expose son univers extérieur composé de gens constamment en mouvement pour survivre, d’objet au sens large : le texte de ses chants (tononkira), et d’objet déjà créé : le ciel (lanitra), la demeure (trano) étroite (tsy omby), spectre (lolon-javatra), descendant de l’Eau (zanakalondrano). En effet on découvre en lisant ses poèmes qu’il a traité de nombreux aspects de la vie et divers espaces ou univers au sein desquels les gens de sa génération ont évolué. Ses poèmes nous révèlent l’existence de liens et contradictions entre son univers extérieur et intérieur, problème qu’il a toujours cherché à résoudre par ses actes et travaux : rassembler (mampiray), effectuer (ataony), ne pas se renfermer (tsy omby trano), par l’univers de ses expériences. En un mot, les poèmes venant de son intérieur reflètent tous les espaces de vie au cours et dans lesquels  il a évolué.

Quels ont été essentiellement ses univers extérieurs ?

Ils représentent ses espaces temps et lieux (Firaka atakalo). Né le 25 septembre 1915, l’univers de sa petite enfance a été marqué par le décès de sa mère alors qu’il n’avait que 4 ans (Neny), puis la protection de ses grands-parents (Dadabe). L’univers des études a été édifié par différentes écoles protestantes et couronné par le diplôme du CAE. L’univers des jeux d’enfance et des activités de jeunesse l’a conduit vers l’amour de la littérature et de la musique. L’univers du travail et activités d’adulte a été émaillé de mille métiers, fonctions et travaux d’animations dans plusieurs endroits et périodes différentes. L’univers humain a été ses rapports avec sa famille, ses amis et les gens qu’il a côtoyés, axé sur l’amélioration des conditions de vie sociale. L’univers syndical et politique a été le soutien apporté aux luttes des travailleurs et des plus démunis et à la libération de Madagascar dominé depuis plus de cent ans par l’étranger avec son pompage de richesses. L’univers de la foi a été la recherche du vécu au quotidien et le témoignage par des actions spirituelles. Enfin l’univers de la vieillesse a été la souffrance de n’avoir pas pu vivre de sa plume et la conscience de nous avoir apporté et aux générations futures la valeur de la ‘‘paix dans l’âme’’ le but de sa vie. Il est décédé le 7 février 1994 et inhumé près de sa mère.

Zakarandahy - Rotsirotsin-dray

Zakarandahy – Rotsirotsin-dray

 

Zakarandahy- Jiron'ny kamboty - Tara-bao maraina

Jiron’ny kamboty – Tara-bao maraina

Quels ont été ses propres univers intérieurs ?

Tout homme a un univers intérieur qui lui est spécifique. Il n’est perceptible que par les faits et gestes, actes et actions, pensées et émotions de celui qui l’extériorise. Ce qui caractérise l’inspiration chez Zakarandahy est la fluidité. L’écriture d’un poème se fait en peu de temps, fruit d’un sens d’observation développé et d’une connaissance profonde de la culture non souillée du malgache. Rares sont les poètes maniant aussi aisément les hain-teny (connaissance de la culture malgache à travers les mots). Nous avons mis en évidence que l’univers intérieur est le reflet de l’univers extérieur grâce à la pratique. Chez ce poète, l’action par la réaction aux phénomènes ou situations est bien pensée et exprimée d’une façon simple donc d’une intelligibilité surprenante. Cela lui a valu le qualificatif d’acteur et d’esthète de la poésie (mpikanton’ny kalo). Tout acte chez l’homme est provoqué par le besoin d’acquérir l’objet de son désir qui l’oblige à surmonter les difficultés pour l’avoir. Le cerveau n’est actif qu’à la perspective d’un but à atteindre, d’obstacle à franchir, de problème à résoudre, d’un plan à établir, processus qu’on appelle projet. Le projet de Zakarandahy tout au long de son existence était de vivre de son art, chose qu’il n’a jamais pu réaliser vu que même l’achat du livre malgache n’a jamais été inclus aux besoins fondamentaux du peuple. Cela ne l’a pas empêché de continuer à écrire, à répertorier ses poèmes en vue de les éditer, à se servir de diverses techniques de la poésie, à approfondir son art pour lui donner de la plus-value pour susciter l’intérêt. L’intérêt est le moteur de l’acte chez l’homme. Contrairement au besoin essentiellement intérieur, l’intérêt lui permet l’ouverture à l’extérieur pour donner de la valeur à l’objet qu’il veut obtenir. Il répond réellement au besoin. L’acte immédiat, même irréfléchi est vite pris en compte par le cerveau pour durer. On peut donc dire que l’intérêt recouvre aussi bien l’attrait immédiat que le désir le plus profond pour atteindre le but. Cela nous amène à dire que besoin et intérêt ne peuvent pas être séparés du comportement global de l’homme devant une situation réelle dont il veut saisir le sens. La source des énergies chez l’homme se situe en lui et il s’en sert pour maîtriser son univers extérieur. Zakarandahy l’a bien ressenti à travers son poème Ny nofoko (ma chair). Ce rapport lui a permis de se développer. Cela veut dire que l’apport de l’extérieur au besoin et intérêt est illusoire. Force est de constater que le peuple Malgache ne cesse et ne cessera pas de s’appauvrir tant qu’il s’appuie sur les aides extérieures car son intérêt est à l’opposé de celui de l’étranger qui ne vient que pour spolier entre autres et sans vergogne des terres telle que Zakarandahy l’a dénoncé à travers son poème Tany (Terres). Cependant besoin et intérêt ne peuvent être actifs sans motivation. La motivation permet à l’homme de s’engager dans l’action. Il existe plusieurs degrés de motivations allant de la satisfaction des besoins primaires à la recherche de la perfection. Zakarandahy N’a pas cessé d’appeler (Tsy leon’ny antsoko aho) ses amis à se surpasser, braver les flots du Tsiribihina, déplacer le rocher, se solidariser sans trainailler, attraper les poux avec des doigts, travailler sans bavasser, se rallier pour sauver l’Île, lutter contre l’alcoolisme, libérer le pays de ses chaines, lutter contre la division. Mais la motivation vermoulue par la domination doit se hisser à une échelle beaucoup plus haute : la sublimation ou l’appel des valeurs (anja). Chaque poème de Zakarandahy part de la chose perçue et s’élève vers une conclusion plus élaborée, plus engageante, plus belle, plus sublime à l’instar de la foi.

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L’univers de ses expériences.

L’univers extérieur ou l’espace à vivre associe l’objet, l’homme et l’objet créé. Le rapport de l’homme avec cet espace lui permet de se construire, de se développer. L’espace de vie inspire, stimule, incite le cerveau qui le capte par les organes des sens, en théorie. Mais la pratique peut le transformer et créer un nouvel espace si elle suit les lois régissant l’évolution bio-psychique et axiologique, (corps, pensée et spirituel), ainsi se confondent le comportement et le soi. La connaissance acquise par la pratique constitue l’expérience. C’est de cette expérience dont parle Zakarandahy dans son poème Ilay poety,(Le poète) incitation à ne pas cesser d’écrire. Nous avons défini le projet comme un processus constitué de différentes actions bien illustrées par le poème Ny maso (L’œil). La fin d’une confrontation de l’organisme à l’espace de vie est caractérisée par l’achèvement d’une activité ou d’un projet pour acquérir de l’expérience qui débouche vers d’autres acquisitions. Cet achèvement provoque la conscience de l’unicité de l’homme et son comportement qui le pousse à entreprendre d’autres projets. C’est pour cela qu’il ne faut pas confondre expérience acquise et à acquérir, la première consiste à unir en soi ses propres expériences et le second à les réunir avec celles des autres. Le passé est uni et réuni au futur en expérience, et à partir de là, l’on comprend l’avenir comme réunion incessante de l’union passagère. Dans une association, les expériences se partagent et non point la personnalité de chaque membre, explique Zakarandahy dans son poème Ny fikambananay. La conclusion de ce poème nous amène à plus réfléchir sur la nature du rapport de l’homme avec son espace de vie. Sans l’objet tel que sauvegarde de la langue Malgache ce rapport n’existe pas. La présence de l’objet intermédiaire est nécessaire pour qu’il y ait  communication. Cet objet va évoluer  grâce aux interventions des différents protagonistes qui vont eux aussi progresser. Le fondement des relations sociales est expliqué par la formation de groupe qui offre à chacun la liberté de s’exprimer. Le groupe est la base de la démocratie. Le poème  Rafokonolona de Zakarandahy dit long à ce sujet. C’est pour cette raison que désormais la société juge l’homme par ses expériences et la multiplicité de ses rapports avec ses semblables. De ce fait,  nous concluons que le travail de Zakarandahy est ‘‘énorme et grandiose’’, nous vous invitons à le lire pour être convaincus du bien-être (fiononan’ny olombelona) que cela procure.

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Rajaobelison-Andriambala Solomalala, résumé de son livre, sur Rajaobelison Samuel, son père ‘‘Le poète des Univers’’

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